Revue historique et culturelle publiée par la Société Historique du Pays de Pévèle Publié dans ce site avec l'aimable autorisation de l'auteur Monsieur Alain Plateaux A Templeuve, la nouvelle demeure de la famille Baratte est achevée. ![]() Né d'un coup d'état en 1852, le Second Empire est une époque éblouissante et trouble de l'Histoire de France. C'est le temps d'un étonnant essor économique. L'agriculture, l'industrie, le commerce sont plus que prospères. C'est l'âge d'or des banques, de la Bourse. Routes, canaux, chemins de fer, urbanisme, tout dénote une puissance de l'argent. Paris se transforme radicalement de 1853 à 1870 sous l'influence d'Haussman. Lille s'agrandit considérablement en cette année 1860 et se dote d'édifices nouveaux. Le Nord, par le développement du capitalisme industriel devient une région des plus cossues que renforce le libéralisme économique engendré par le Traité du libre échange de 1860. ![]() Mais c'est aussi le temps où naissent les "classes" qui vont diviser la société, opposant à des nantis une paupérisation inquiétante, séparés par d'autres strates où vivent des gens plus ou moins aisés. Des idées philosophiques, politiques, idéologiques vont engendrer des tensions et des différends dont nous ne sommes pas encore sortis. La religion catholique se veut toute puissante mais rencontre de plus en plus d'opposition sinon la haine... ![]() D'abord autoritaire, l'Empire de Napoléon III se libéralise en cette année 1860 et va, peu à peu, vers une fin tragique. La guerre de Crimée (1854-1856) est triomphale, celle d'Italie est glorieuse mais engendre de graves dissensions sur la question romaine (1859). La campagne du Mexique est désastreuse (1860-1867) et la guerre contre la Prusse en 1870 amène la défaite de Sedan le 2 septembre 1870 suivie le 4 par l'effondrement de l'Empire, suivi de troubles graves. ![]() Ce Second Empire est celui d'une intense activité artistique qui est en charnière entre néo-classicisme et les dérives de l'éclectisme. En peinture, on assiste au triomphe officiel de l'académisme le plus outrancier tandis que d'autres artistes se démarquent de cette tradition sclérosée et ouvrent les voies du modernisme. 1859 voit apparaître dans ces Salons les premiers noms de l'impressionnisme... En musique c'est l'époque où règne Verdi, Wagner qui, toutefois, ne réussit pas à triompher de Meyerber à Paris. Mais c'est Jacques Offenbach qui est le chantre de ce monde qui danse sur un volcan. ![]() Jamais la France n'a été aussi riche, sa bourgeoisie a détrôné la noblesse d'autrefois, ayant obéi à Guizot qui, sous la Restauration, a conseillé le fameux "enrichissez-vous" qui sera entendu par les plus habiles de nos concitoyens... Cette opulence se reflète dans les constructions qui entassent sur les façades et dans les intérieurs les styles les plus divers. On accumule sur les murs, comme on entasse en banque titres et actions. C'est le règne triomphant de la bourgeoisie, des parvenus. Cette réussite d'une partie de la population, très minime, sera l'objet d'une véritable vénération pour les autres classes moins favorisées. Ce triomphe est la preuve vivante que les principes sont excellents: le travail, l'industrie, le commerce rendent riches... Ce n'est que plus tard que les idées vont se transformer et se modifier. Il sera aisé de se rendre compte que les bienfaits du système économique ne favorisent que certains. Il en résultera des conflits, des révoltes, des révolutions. ![]() La famille Baratte qui réside à Templeuve, depuis longtemps déjà, est l'une de celles qui montent peu à peu dans l'échelle sociale du temps, amassant fortune et puissance. Logée jusqu'alors dans une belle maison de la rue de Roubaix, dont une partie est du XVIIIéme siècle, accompagnée d'un beau jardin, elle peut concrétiser sa réussite lorsqu'en 1860 elle se transfère dans le château à peine achevé. Cette nouvelle demeure est imposante, assise au milieu d'un parc magnifique. ![]() Le bâtiment s'apparente aux demeures de l'âge classique. Mais son volume presque cubique est bien typique de la grande maison du XiXèmesiècle. Sous un grand toit à la Mansard, elle présente une architecture riante. en pierre et briques. Des rampes mènent au perron principal, bordées de balustrades, scandées de dés surmontés de vases fleuris et de statues. ![]() Mais à y regarder de plus près, le château Baratte est nettement influencé par l'éclectisme en vogue à l'époque. Pour la première fois dans l'Histoire de l'art, semble-t-il, cette façon de voir, issue du romantisme, permet de bâtir et de décorer non plus dans son temps mais dans celui de son choix et en se permettant tous les mélanges. ![]() Bien que sage dans ses volumes, cette construction est à la fois d'esprit "Louis XIII" par le choix des matériaux, louisquatorzien par sa toiture et son allure générale, mais résolument Renaissance Française dans le détail d'une architecture par ailleurs très bien dessinée. C'est ainsi que les avant-corps des façades principales, au nombre de trois sur quatre, se souviennent par de nombreuses références à des modèles venus des bords de la Loire ou d'Ile de France... ![]() A l'intérieur on trouve les mêmes mélanges : un vestibule d'allure néo-classique, un rien sévère, un salon qui a des accents très proches de ceux du XVIIIème siècle, abondant en "rocailles" traitées habilement dans le torchis. La salle à manger, qui communique au précédent par une large ouverture facilitant les réceptions, est d'inspiration Henri II, ce qui est tout à fait traditionnel pour l'époque qui a adopté pour chaque pièce de l'habitation des styles jugés irréprochables... Lambris et meubles de ce goût ne s'offusquent pas de la présence d'une cheminée en marbre traitée comme au temps de Louis XVI. La bibliothèque est neutre, avec la cheminée comme seul omement, l'âtre en marbre noir de style Restauration, surmonté d'un trumeau avec miroir inspiré de décors Renaissance. Aux étages règne, par contre, une unité qui est bien de son temps malgré sa grande sobriété. ![]() C'est une vaste maison, avec de grandes salles identiques en mesures pour celles du rez-de-chaussée, ayant placé en rez-de-jardin, à demi enterrés, les services des cuisines et d'une agréable salle à manger d'été, ainsi qu'une chaufferie reliée à toutes les pièces par des gaines qui dispensent un air chaud assez parcimonieux. C'est le seul apport de ce que nous appelons le confort; la maison ne dispose que d'une minuscule salle de bains en entresol et d'aucune "commodités". ![]() On ignore encore qui a été l'architecte de cette maison dessinée avec rigueur et logique, malgré que les divers étages se chevauchent sans solution de continuité dans les murs porteurs. Là aussi, nous sommes au XIXème siècle. Une analyse plus pointilleuse de la bâtisse montrerait que beaucoup de murs ne sont que cloisons et établis selon le vieux principe du pan de bois. ![]() Eugène Baratte (1825-1893) qui a épousé Julie Roussel (1833-1873) le 1er mai 1854, a vu sa fortune s'augmenter d'une dot assez conséquente apportée par son épouse dont il aura 7 enfants. Ils vont faire édifier le château, achevé en 1860 comme l'atteste une date sculptée au fronton de la lucarne principale. Ce sera la demeure idéale pour cette grande famille dont les enfants logent au second étage avec leurs nurses et gouvernantes. L'atmosphère de cette maison est très joyeuse, heureuse. On ne peut s'empêcher de faire allusion à ce que raconte la Comtesse de Ségur, dans les Petites filles modèles, les Vacances ou autres romans, pour évoquer la vie dans la maison et le parc. La première page de l'album que consacre Eugène Baratte à sa maison porte la dédicace suivante : * Extrait de l'Orphée de Glück "J'ombre harmonieuse" Cette phrase est inscrite sur la 17e aquarelle, la première montrant le château de Vertain, orthographié sans a. ![]() Alain Plateaux |